Novels Biography (french) | Xenia Prokhorova
 

Ksénia Prokhorova est une jeune artiste peintre de Saint-Pétersbourg, qui oeuvre dans plusieurs domaines de création : la peinture de chevalet, le cinéma d’animation et la bande dessinée (en utilisant le papier ou l’informatique).

Elle développe un art polyvalent, résultant de la diversité de ses réalisations artistiques et de l’expérience qu’elle n’a cessé d’accumuler. L’itinéraire artistique de Ksénia est quelque peu original et éclectique. Elle a suivi dès l’âge sept ans les cours d’art pour enfants et adolescents du professeur S.I Rodionov, tout en choisissant d’étudier dans un lycée spécialisé en physique et mathématiques, puis en s’intéressant aux études de droit en classes terminales. Elle est entrée à l’université au département de droit (en jurisprudence) au sein de la faculté d’études supérieures d’Economie.

Ses études finies, Ksénia a travaillé dans un cabinet d’avocats avant d’entrer dans l’administration, au service des marchés financiers de la banque centrale de la fédération de Russie, tout en poursuivant ses activités artistiques à titre de loisir. Ksénia a rapidement compris que sa voie était toute autre et s’est réorientée vers une formation de « régie de programmes télévisés » dispensée par l’académie de Moscou, avant de travailler dans le secteur de la publicité et de clips musicaux comme directrice artistique.

Au cours de ses activités dans le domaine des arts visuels, Ksénia a décidé de se tourner vers le dessin à main levée : la peinture, l’animation, le graphisme. Les quatre années suivantes, Ksénia s’est focalisée sur la peinture de chevalet, en réalisant de nombreux portraits, dans l’objectif de rendre essentiellement la personnalité de ses modèles à travers leur apparence. Elle suit parallèlement en auditeur libre les cours du professeur I. Pétrov à l’Institut Répine de peinture, sculpture et architecture, où elle a acquis des outils artistiques supplémentaires et la capacité de voir le monde sous un nouvel angle. Ksénia a participé pendant cette période à de nombreuses expositions de groupe en Russie et a présenté ses travaux dans plusieurs expositions personnelles.

Ksénia développe alors de nouvelles compétences professionnelles, cette fois dans le cinéma d’animation : elle suit une formation en animation classique et au court-métrage ainsi que des cours de dramaturgie. L’association des fondamentaux de la peinture classique et de l’art cinématographique pose de nouveaux défis à l’artiste tout en lui apportant des réponses, et rend son art particulièrement synesthésique, dont le résultat se concrétise par une série de récits graphiques.

Dans ses récits graphiques, on peut qualifier le langage de l’auteure de « méta-expressionnisme poétique ». Les sujets ne se déploient pas linéairement selon une logique de cause à effet, dans un déroulement narratif, mais dans un flux d’associations où le passé-présent-futur coexistent. Le lieu de l’action ne se trouve pas dans un espace habituellement codifié, mais dans une autre réalité tel un palimpseste où une empreinte émerge à travers une autre, ce qui permet à un personnage d’être dans deux réalités à la fois. L’expression artistique redonde la construction du texte ; l’espace de l’histoire est constitué de lignes, de taches, de mots. Il est plat sans aucun volume ni densité, il est « impalpable », et donc non empirique mais sensible, métaphysique. Les principaux moyens de l’expression graphique que sont la tache et la ligne, aident le lecteur à mieux percevoir le caractère transcendantal de la signification du récit.

Les récits graphiques de Ksénia se caractérisent par des changements de style au long du déroulement de l’histoire, chaque feuille a sa propre originalité en fonction du texte, lui-même hétérogène, mais leur assemblage produit une histoire des plus originale par son traitement formel.

La petite « oie ». Histoire courte à l’atmosphère particulière d’une petite-fille avec une plume d’oie qui se transforme en oie véritable sur fond de paysages cosmiques. Confrontée à la froide immensité du cosmos, la petite « oie » ne désire pas retrouver sa nature humaine et sa transformation en oiseau s’accomplira. La petite-fille brille comme une luciole, une étoile et le réservoir de l’Espace l’accueille. Oeuvre exposée au musée d’art de Nijni-Novgorod en 2014.

Un ami fait pour moi. Dès 2013 Ksénia dessine le premier jet d’une histoire de science-fiction qui se passe dans un monde où les gens ont cessé de se comprendre au moyen des mots et n’utilisent plus que la télépathie. Mais que se passe-t-il pour qui est dépourvu, quelle qu’en soit la raison, de cette capacité ? Ksénia croise ici ses connaissances en physique et mathématiques acquises dans un lycée spécialisé avec ses outils graphiques et narratifs pour créer une dystopie. Il s’agit de l’histoire de la Mer de la solitude où se trouve le personnage central. C’est pourquoi l’image de l’eau revient si souvent dans ses récits. Mais voilà que quelqu’un apparaît, prêt à partager cette Mer effrayante qui se met alors à refluer, avec ses poissons terrifiants, laissant place à un ami unique.

Les histoires de Hamster. Un jour, Hamster rencontre dans le train une étrange voyageuse : une Poisson-volante ! Tous deux sont on ne peut plus différents l’un de l’autre ! Lui est petit et rondouillard, amateur des trous dans le sol, mangeur de carottes, et elle, aime voler au-dessus de l’eau et déguster du plancton. « Servez-vous ! » se dirent-ils en s’offrant chacun leur nourriture favorite. Ainsi a débuté leur histoire qui a été suivie d’un dessin animé, achevé en 2020 et prochainement présenté dans plusieurs festivals. Sa première partie, C’est arrivé dans un train, a fait partie du festival international KomMissia 2017. Du point de vue « méta-expressionniste », le Train est aussi un ami muet des deux personnages, car il ne fait pas que les transporter, mais il écoute leurs histoires durant le trajet… lequel Trajet est également un protagoniste de cette histoire en étant connecté aux voyageurs. Les trajets sont multiples et des voyageurs peuvent se croiser ou pas, mais ce point d’intersection entre ces deux voyageurs, le même espace-temps de leur trajet, permet l’émergence d’un acte créatif symbolisant leur rencontre. Les décisions graphiques font écho au texte. Hamster est rond, doté de petits traits épais, et le poisson de lignes expressives, longues et fines. Ksénia joue à sa façon de la couleur, elle ajoute parfois des taches à une esquisse, d’autres dessins sont entièrement remplis de couleur ou bien tracés sous une forme strictement graphique.

Marta du cimetière Makhest. Cette série d’histoires courtes met en scène Marta, qui « demeure » dans un petit cimetière de campagne, et son amoureux transi, Salvador, qui lui laisse des cadeaux pour Halloween une fois tous les 40 ans au seuil d’une crypte. Ksénia travaille actuellement sur les dernières pages de cette histoire, dont elle a présenté les premières au festival KomMissia de 2017.

L’histoire de Marta parle de la voie de la miséricorde, du pardon, de la bonté et de l’amour, qui sont des forces humaines et même surhumaines, et n’ont ni forme ni matière. Si l’on suit le langage du récit, on remarque qu’au fur et à mesure, le nombre de mots diminue, tout comme les motifs narratifs alors qu’augmente le nombre de pages aux dessins abstraits sans plus aucun texte. Marta et Salvador se désincorporent progressivement, alors qu’ils étaient au début du récit tout-à-fait concrets, et leur vie qui avait commencé dans un contexte de vie prosaïque, devient de plus de plus abstraite et poétique, métaphysique.

Rita et la mer. La cinquième histoire de Ksénia appartient au genre de la poésie graphique. Bien qu’elle ait déjà utilisé la poésie dans des travaux antérieurs, elle trouve ici la forme décisive de sa « métapoésie ». Cette histoire parle d’une femme fantasque, Rita, qui vit dans un phare, aime la mer et danse la nuit pour que les navires ne se fracassent pas contre les esquifs, a été éditée en 2019 en quelques exemplaires. Ce livre a été présenté à Nijni-Novgorod, d’où Ksénia est native, dans le cadre du projet social (consacré à l’insertion de personnes nécessitant une adaptation à la vie courante) « La maison des gens étonnants ». Ses illustrations ont été exposées durant « La semaine des arts » et présentées au projet «  Le prix des arts » (et ont reçu le 3ème prix) à Moscou en 2018.

Si l’on considère le méta-expressionnisme poétique comme une méthode pour voir le monde, Rita n’est pas simplement amoureuse de la mer, elle en émane, elle est la mer, et la mer est Rita. Mais qu’est-ce que la mer ? Une allégorie possible de son monde intérieur dont le prisme lui permet d’appréhender le monde extérieur, la mer étant le monde extérieur engendré par Rita. Le phare est l’axe de son monde et la source de son inspiration, il est créé par elle. Rita, tout comme la mer, est changeante-instable. Sur chaque dessin, elle est différente, en fonction des variations de son inspiration. Ce que souligne le jeu des nuances de sa robe, la diversité des lignes du contour de sa silhouette et de son visage, jouant du changement d’un dessin à l’autre. La facture sans cesse modifiée de la mer et du phare reprend cette infinie fluctuation, soulignée par une tache, une couleur, et une ligne.

Maudit canapé. Ce conte de mise en quarantaine parle d’Ivan-le-sot resté collé à son maudit canapé magique, est né pendant la pandémie du printemps 2020, et est conçu pour un projet de jeu online, un text quest avec quelques éléments d’animation. L’histoire est publiée sur des plates-formes.

Les récits graphiques de Ksénia Prokhorova sont tous reliés par des clés que l’on retrouve d’œuvre en œuvre car ce sont des marqueurs significatifs dans la vie de Ksénia elle-même : la mer, le poisson, la lampe, le parcours, le cercle, ce que reprend la gamme des couleurs ; l’indice qu’est la couleur pour chaque clé, contient une plus grande signification qu’une simple coloration, et pour le reste, c’est la ligne globalement esquissée qui est une dominante dans ses dessins. Des taches éparses de couleur apparaissent souvent dans son graphisme, elles forment une structure émotionnelle spécifique, et contribuent à donner une intonation au contenu du texte. Les éléments graphiques ne sont jamais utilisés à seule fin d’illustration. Ils servent comme moyens d’évocations figuratives d’associations, le texte est d’ailleurs lui-même un élément d’illustration, et complète non seulement le contenu mais la continuité visuelle.

Si Ksénia préfère les couleurs chaudes dans ses peintures, elle priorise les froides dans ses récits graphiques. Ses peintures sont essentiellement des portraits, non pas tant les traits physiques d’individus mais sa perception de l’âme humaine de son modèle. Ksénia ne veut pas simplement sentir, mais « éprouver » le monde, la vie à travers l’intériorité de son modèle. Pour ses récits graphiques, les personnages sont des personnalités à part entière, bien évidemment conçus d’après la propre expérience de Ksénia et sa capacité à se projeter dans les sentiments d’autrui ; mais ces personnages mènent une vie absolument autonome, chacun dans son propre monde, non pas tant créés par l’autrice, que par le personnage lui-même de façon tout-à-fait personnelle, souvent sans la participation de l’autrice. Souvent, ce monde n’est pas tant hostile au personnage qu’indifférent. Et si la peinture de Ksénia parle au spectateur du « moi » profond d’un individu, ses récits graphiques parlent de la relation réciproque entre un « moi» et le monde qui l’entoure, c’est pourquoi sa palette est principalement froide.

Ksénia qualifie son style de « méta-expressionnisme  poétique », ce qui n’est pas tant un style qu’une forme de perception du monde et de son expression à travers une image textuelle et visuelle, par le rythme des couleur-mot-ligne-tache-son. Ce qu’est la synesthésie. Cette perception permet à Ksénia de voir le monde - et elle-même dans ce monde- de façon incroyable dans sa globalité, mais le plus important est quand son oeuvre, dans toute son hétérogénéité devient synonyme d’harmonie.

Cette vision ainsi “unificatrice” du monde chaotique et fragmenté qui nous entoure, est sans doute la principale caractéristique de l’art de Ksénia. Dans notre monde pris de vitesse, et saturé de flux d’informations en tous genres, une perception “unificatrice” semble une réaction aussi inattendue que naturelle à un tel état de choses. Ksénia veut ainsi partager cette vision et son harmonie avec les autres.

Aujourd’hui Ksénia a participé à de nombreuxes expositions en Russie et dans le monde, comme artiste peintre et autrice. Ses travaux se trouvent dans plusieurs collections publiques et privées, sont présentées dans des galeries et lieux artistiques en Russie et USA, ainsi que sur les sites de galeries connues. Telle est la dialectique de l’itinéraire artistique de Ksénia, qui a trouvé son expression dans un langage particulier, chaotiquement harmonieux et toujours en mouvement, dont le nom est le “méta-expressionnisme poétique”.